Vincent Moon aime la musique, il nous le prouve à travers chaque concert à emporter, chaque “petites choses” qu’il a filmé. C’est donc naturellement que Juicebox l’ai choisi pour son premier JUS! Mais dépêchons nous de publier cette interview car le mois prochain ses goûts musicaux auront peut-être changés.
On connait Vincent Moon, mais toi, qui es-tu? Est ce exprès que tu caches ton identité? Tu veux qu’on ne connaisse que ton travail?
C’est juste très complexe, je n’ai pas envie que ça masque le travail, les journalistes raffolent de ça. D’ailleurs, ils ont épilogué sur ma “non-identité” et ça m’a saoulé. C’est un bouclier, une façon de dire que chacun est multiple, chacun peut se recréer.
Donc, si je résume, le fait d’avoir une personnalité un peu cachée ça attire les journalistes et cela te déplais?
Oui. C’est un peu les travers d’une certaine spectacularisation marchande où finalement ceux qui ne veulent pas jouer le jeu de la spectacularisation sont en fait mis en avant. C’est complètement pervers et pas très intéressant. Je n’ai donc plus trop envie de me cacher derrière tout ça même si je continue à utiliser ce nom là (ndlr: Vincent Moon) car c’est tout de même plus cohérent.
Et par rapport à ça, est-ce qu’il y a une chanson qui te correspond, qui peut te définir?
(Rires) Non. Surement pas.
Tu es multiple c’est pour ça!
En fait, j’ai des gouts extrêmement changeants, tous les jours ils changent.
Et en ce moment c’est quoi?
Ce matin, j’ai découvert un groupe que j’adore. C’est un groupe tchèque qui s’appelle Dva. La semaine dernière j’étais en République Tchèque et j’ai rencontré la sœur de la chanteuse de ce groupe. Je le trouve magnifique, c’est une sorte de folk sans frontières, tu sais, tu l’écoutes et tu te dis : “Mais, elle chante en quoi? Ça vient d’où?”. Ca me fait penser à une musique que j’aime beaucoup, vers laquelle je reviens assez souvent. Une musique sans frontières, qui joue à saute mouton.
Sinon, un album qui m’a beaucoup marqué c’est le premier d’Aksak Maboul (ndrl: Onze Danses Pour Combattre la Migraine). C’est le premier projet de Marc Hollander, qui a crée le label Crammed Discs, dans les années 70. Leur musique n’avait rien à voir avec ce qui se faisait à l’époque et c’est un album magique. Comme une sorte de petite boîte avec pleins d’éléments, pleins de cultures différentes.Mais il n’y a jamais un truc sur lequel je reviens, ça bouge tout le temps. Il y a énormément de musiques aujourd’hui. Il faut rester un peu tête chercheuse… Je trouve, qu’en généra,l les gens ne sont pas très curieux. D’ailleurs, c’est pour ça que je suis parti sur la route, pour essayer de découvrir des gens différents. J’ai eu cette chance de pouvoir me balader.
C’est au Japon que j’ai fait ma plus belle rencontre musicale. Un soir, une fille faisait une première partie et c’était incroyable! J’ai rarement entendu une voix comme ça … je m’en souviens. J’étais en backstage et j’ai pensé : “Mais qu’est-ce que c’est que ça? Qu’est-ce que j’entends?”. C’était cette fille japonaise, Nikaido Kazumi qui chantait, c’était extraordinaire! J’ai complètement fondu en larmes. A la fin du concert je lui ai demandé si elle était d’accord pour qu’on fasse une petite vidéo plus tard dans la nuit. Et on a fait cette petite vidéo, que j’aime beaucoup, c’est très simple mais très beau.
Donc, ta culture musicale tu la construis surtout grâce aux festivals, tu ne vas pas trop sur les sites, tu ne lis pas trop de journaux?
Non, enfin, juste un petit peu. Pour moi je n’ai pas du tout une culture de musique enregistrée. Ca ne m’intéresse pas. Le processus de l’enregistrement m’intéresse assez peu, en musique ou dans d’autres formes artistiques. Ce qui m’intéresse c’est l’art vivant et le rapport au corps.
Quand j’écoute des albums, la plupart du temps c’est pour avoir des indices, pour savoir si je vais aller voir ce groupe la en live ou pas. C’est une chance d’avoir cette opportunité dans des villes comme Paris ou New York où il y a autant de choses qui se passent. J’ai vraiment cette chance là de pouvoir assister à autant de choses!
Clairement, mon rapport à la musique il passe par le live. Si j’ai jamais vraiment fait de clip vidéo dans le sens classique du terme c’est parce que, ce qui m’intéresse c’est de rencontrer des musiciens et de leur faire jouer de la musique devant moi.
Pourquoi les clips vidéo ne t’intéressent pas?
Les clips musicaux c’est un format très batard, très étrange et qui a été imposé par l’industrie musicale. Je trouve que ce n’est pas du tout intéressant la façon dont cela aborde la musique.
C’est compliqué de filmer la musique?
Je ne pense pas que ce soit compliqué, mais j’ai rarement vu des choses vraiment brillantes dans la façon de filmer la musique. Il ne s’agit pas seulement filmer la musique, mais comment la musique se joue face à une caméra. Montrer comment ces deux formes artistique dialoguent et créent quelque chose entre elles, quelque chose qui soit sur le même pied d’égalité. Et c’est pour ça que les clips vidéos ne m’ont jamais intéressés, il n’y avait pas d’égalité. Tu as une musique qui est déjà enregistrée, ensuite quelqu’un vient et met des images dessus. C’est complètement hiérarchisé comme relation, c’est inintéressant.
Il y a un film, qui est un peu ma bible, auquel je reviens tout le temps, le film indépassable, j’aimerais le refaire mais je n’y arriverais jamais (rires). Il s’appelle «Step across the border». Ce film m’a fait découvrir énormément de musique. Pour moi il est le meilleur film qui n’a jamais été fait sur la musique et même quasiment mon film préféré, tous genres confondus.
C’est un film-documentaire assez expérimental sur le guitariste improvisateur anglais: Fred Frith, à la fin des années 80. Il se balade de part le monde et collabore musicalement avec pleins de gens. Faut le voir pour le croire, ce n’est pas du tout un truc que l’on peut expliquer par des mots. C’est dans ce film que j’ai découvert une musicienne que j’aime énormément qui s’appelle Iva Bittová. Le plus important c’est toujours de rester curieux et de se faire sa propre façon de découvrir les choses, chacun trouve sa propre méthode. Moi j’ai la mienne, je suis très chanceux pour ça.
Tu t’intéresses à la musique depuis ton enfance ou cela est venu plus tard?
J’ai découvert tout ça sur le tard, à 16-17 ans. Je ne connaissais absolument rien avant. J’ai pris mes premières claques …
C’était quoi?
Les deux premiers trucs, pour beaucoup de gens de ma génération, c’était le premier album de Portishead (ndlr: Dummy) et de Jeff Buckley (ndlr: Grace). Je ne connaissais rien et du coup les dix années qui ont suivi je les ai passé à Paris à découvrir des choses, j’allais voir quatre ou cinq concerts par semaine.
Il y a une chanson ou un groupe qui t’a marqué en live?
Oh il y en a trop! Ce qui me plaisait c’était d’aller vers des musiques plus expérimentales que je n’écoutais pas chez moi. Ce sont des musiques beaucoup plus noise, qui joue sur les sensations physiques.
A une période j’allais pas mal aux Instants Chavirés à Montreuil qui est une salle en sursis dédiée à la musique improvisée et expérimentale. Là bas j’ai fait des expériences de musique uniques, je ne savais pas que la musique pouvait créer ça. Elle m’amenait dans un autre monde, c’était très intense, très intime. J’ai vu notamment, le guitariste Keiji Haino. Le concert a commencé et j’étais pas du tout dans cet esprit la, je n’avais pas envie d’être violenté. Je me suis dis: “Ok tu connais Keiji Haino, ça va te déchirer, ça va te rentrer dans le corps tout ça, puis au bout de cinq minutes tu va te casse en pensant : Ouais j’ai déjà vu.” Puis finalement je suis resté, ça a duré deux heures et plus. Il y avait sans arrêt une sorte de grande improvisation entre voix et stridence de guitare. A la fin des deux heures j’étais dans un état… Complètement sur une autre planète. C’est une sorte de prise de drogue, c’est vraiment woooow! Ca n’avait rien à voir avec les formats pop qui te rendent chaleureux, là c’était vraiment une autre expérience. Ça m’a beaucoup changé. J’ai des histoires incroyables en live…
Quand tu vas à des concerts tu y vas seul ou …
Ça dépend, j’aime beaucoup y aller seul.
Ou tu y vas avec ta caméra?
J’y vais plus du tout avec une caméra, je refuse absolument de tourner un live. Je dis ça mais à la rentrée je sors deux DVD live avec deux groupes différents (rires).
J’ai eu la chance de pouvoir créer les concerts à emporter, de pouvoir filmer la musique dans d’autres lieux et aussi, que beaucoup de musiciens disent oui à ce projet. Mais filmer la musique en live, sur scène, je trouve que c’est le pire des gâchis. Dans un rapport au cinéma ça ne donne absolument rien. Même les films les plus réputés comme Stop making sense par exemple, le film sur Talking Heads… Je ne trouve pas ça “chanmé”. Il n’est pas intéressant dans son rapport à la musique. Filmer la musique sur scène moi je ne peux pas, quand je suis à un concert je suis obligé d’être disponible. C’est trop intense, je ne peux pas filmer. Faut être là.
Ça me fait rigoler tout ces gens qui prennent des photos. Je ne comprends pas, qu’est ce que tu veux faire de cette photo? C’est quoi? Une sorte de souvenir fade d’une expérience qui est tellement forte en face de toi ? Quelqu’un est là, pourquoi tu utiliserais un outil technologique comme outil relationnel?
Alors, ce que j’espère avec les concerts à emporter c’est essayer d’utiliser la caméra comme un autre instrument, comme un outil relationnel pour le coup et créer un dialogue avec elle. Prendre une photo avec un portable dans un concert ce n’est pas du tout créer un dialogue.
Je ne sais pas si c‘est assez clair, je suis parti très très loin quoi.
Il y a une chanson pour toi qui pourrait faire aimer la musique à des gens qui disent ne pas l’aimer?
(Rires) Il y en a plein! J’arrête ce genre de lubie, je ne fais pas de classement de fin d’année, je ne peux pas ça me rends fou.
En ce moment je n’arrête pas de montrer cette vidéo de Nikaido Kazumi (voir plus haut) que j’ai tourné à Osaka. Le morceau qu’elle chante me bouleverse. Elle a une voix, une façon de chanter… C’est incroyable, quand elle monte…C’est saisissant.
J’ai fait une interview où on me demandait, “Alors c’est quoi tes vidéos préférées? Ta meilleure relation avec un groupe? Tes meilleurs moments?”
J’ai toujours essayé d’éviter de citer ce que les gens connaissent. Même si c’était génial de filmer REM, je ne les mentionne jamais, je pense que ça ne sert à rien. Sinon, cela conforte les gens dans ce qu’ils savent déjà et c’est ce qu’ils ont envie d’entendre, presque… Ca m’insupporte !
L’autre jour j’ai fait une interview, pendant une heure, avec une fille du Wall Street Journal. Elle m’a bassiné avec REM. A un moment, je lui ai dis : “Ca ne m’intéresse pas de parler d’REM, les gens les connaissent”.
Ce qui m’intéresse c’est plutôt d’avoir ce rôle de passeur. Il m’offre une sorte de porte voix que je vais utiliser pour raconter des choses que les gens ne savent pas.
On peut se laisser facilement avoir, c’est notre façon d’être en tant qu’être humain, on se réconforte dans les choses qu’on connaît. C’est difficile d’avoir cette position et d’accepter de se mettre en danger, même s’il n’y a pas grand danger à rester à l’écoute pour choper de petites choses ici ou là.
J’étais à Copenhague il y a deux mois et c’était génial à tout point de vue. En gros, j’étais venu filmer un groupe d’amis qui s’appelle Slaraffenland. Je leur ai demandé d’organiser une soirée dans une maison ou un appart’ en invitant des amis à eux, des groupes proches ou locaux, d’origine danoise. On s‘est retrouvé avec neuf groupes différents, c’était extraordinaire. Ils étaient tous excellents et notamment un groupe incroyable, Valby vokal gruppe. Une chorale expérimentale de sept filles qui n’ont jamais rien enregistré. C’est que de l’a capella avec des échanges de voix. Il n’y a rien sur internet sauf ma vidéo. J’ai réussi à enregistrer, pour la première fois ce truc là, c’est magique ! On dirait une sorte de réunion de sorcières, c’est vraiment intense, ce sont de très jolies filles en plus, c’est super beau.
Et c’est vraiment une grande chance… Maintenant à chaque fois que je me balade de part le monde, j’essaie de demander à des gens que j’ai en contact de ramener plusieurs groupes.
Du coup je vais faire ca Athènes, j’ai demandé à des gens de m’envoyer des liens vers des groupes de Grèce et il y a des trucs pas mal…
Il y a beaucoup de visites sur ton compte vimeo? Enfin il y a une répercussion? (Rires) Certaine musique oui et d’autre pas vraiment. L’idée de la répercussion… C’est un joli mot en fait, l’idée d’impact, quel impact tu as aujourd’hui.
Internet te place dans une position très dangereuse vis-à-vis de ça, tu vois très vite le nombre de vues qu’a eu une vidéo. Du coup l’idée de répercussion elle est tout de suite associée à l’idée d’audimat ou de nombre et je trouve cela évidemment faux. Ce n’est pas parce que beaucoup de gens la voient qu’elle aura plus de répercussion.
Je pense que les gens qui vont voir mes vidéos, enfin j’espère en tout cas, le font avec vraiment plus d’attention qu’ils ne verraient quelque chose sur youtube. Les gens qui les voient trouvent des petites choses que j’ai découvert ici ou là. C’est génial quoi!
C’est cette idée la de répercussion, j’espère au moins toucher une personne et changer quelque chose pour elle et pas l’idée d’en toucher beaucoup.
LA MINUTE JUICEBOX
Une chanson pour danser: Un morceau de AU.
Une chanson que tu as honte d’aimer: Il ne faut pas avoir honte d’aimer, il faut être fière d’aimer.
Une chanson mélancolique: Il y a un morceau extraordinaire, dans le dernier album en date de Rachel’s c’est « Water from the same source », très mélancolique pour le coup.
Une chanson qui te motive: Il y a une chanson qui me rend très combatif, c’est « Triumph of Our Tired Eyes » de Silver Mt. Zion. Elle me fait remonter très vite à la surface et me donne envie d’être énergique.
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Vincent Moon: